Quand elle ne repose sur rien de certain, d’avéré, l’inquiétude est le pire des poisons. Etre ou ne pas être inquiet, telle est la question.
Je viens de fumer une clope et je sais que ce n’est pas bon pour ma santé. Je sais, quel luxe, qu’avaler tous ces éléments chimiques que je découvre parfois avec une curiosité malsaine, presqu’ineffective, comme si je n’étais pas ce fumeur concerné qui se tue, peut un jour déboucher sur un des nombreux cancers dont le nombre et la variété ridiculisent la bestiole déguisée en coronavirus qui métastase notre cerveau actuellement. C’est écrit, scientifiquement. Fumer tue, pas tout le monde, mais quand même, pas mal d’entre nous.
Lors d’un des derniers repas que je pris avant la déclaration de guerre sanitaire avec une amie, nous bûmes un verre de vin. Elle tint ce propos dont j’apprécie toujours la potentialité d’analyse philosophique : « Il faut bien mourir de quelque chose… ». Phrase ordinaire et partagée par une large gamme de congénères, du pochtron qui dispose, par fréquentation excessive de bistro, de moins en moins de temps pour se la poser et y répondre, au bourgeois dont la quête raffinée de dives bouteilles est l’un des marqueurs, si j’ose dire, de la distanciation sociale -et non physique- à laquelle il tient tant.
De la piquette au Château Lacoste, boire tue aussi.
Ne disposant pas malheureusement de ce précieux bagage théorique philosophique, que les invités de la cardinale Adèle Van Reth (France Culture, Les chemins de la philosophie, une émission de salubrité publique) déploient avec une clarté pédagogique qui me permet encore de croire que je finirai un jour par comprendre ce qu’écrit Hegel, je pars du présupposé que si l’on meurt bien de quelque chose, l’on ne peut mourir de rien. Ma grand-mère, dont je salue ici la mémoire, eut une vie tragiquement saine, une Jane Fonda du peuple si j’ose le raccourci, sans les jus de carottes dépuratifs. Pas de cigarettes, un verre d’alcool tous les six mois, du Frontignan, je m’en souviens, une boisson antique. Il fallut bien cependant qu’elle meure de quelque chose, bien au-delà de ses 90 ans bien sonnés. Ce fut une longue fin de regards emplafonnés, d’escharification, dans une maison de retraite tenue par des religieuses, KTO en fond sonore sur la télé qu’elle ne regardait plus et qui d’ailleurs ne la regardait plus non plus, sa drogue, un fin filet de murmures psalmodiés sur les avantages de l’au-delà par rapport à l’ici-bas, avec quelques niaiseries bibliques qui rendent, à la comparaison, l’Almanach Vermot potentiellement nobélisable.
Ma grand-mère est donc morte de… rien. De fin, peut-être. Elle a touché à une fin que l’éthanol et les 7 000 composés chimiques de la cigarette n’avaient pas accélérés.
Avec le coronavirus, nous sommes dans un même soupèsement. Fumer, boire… On sait où l’on va, droit direct, déconfinement absolu de la dangerosité. Une dangerosité connue est un embourgeoisement. On soupèse, vous dis-je. On a des échantillons sous les yeux. Des bambocheurs à gogo, des sportifs gagas, etc. On sait comment la dangerosité sue nous percute. Le coronavirus, c’est autre chose. Une invisibilité diabolique. Un impensable non-certifié. Qui échappe à l’OMS. Dont les seuls Nostradamus se chamaillent entre eux à qui sera le plus anxiogène, le plus j’menfichiste, le plus tragique, le plus ‘ça ira mieux demain’, etc. Et vas-y que telle étude dit que c’est plus grave qu’on nous le dit. Et vas-y qu’une autre atténue celle de la veille. On ne sait pas. On conjecture. On cherche des tranquillisants. Des Lider Maximo de l’espoir.
Prise de tête amicale avec une connaissance sérieuse. M’envoie l’étude scientifique d’un gars qui annonce la fin du monde. Je ne cite pas son nom, il a un profil suspect, France Culture le démolit dans une chronique. L’étude du gars en question n’est pas reprise par les médias officiels. Officiels ? Hum, suspect… Poison de l’inconnaissance… Ce n’est pas ce connardovirus qui nous angoisse, c’est le fait qu’il n’ait pas de visage… Levinas et son visage dévoilant…
A plus tard…