Je dois confesser une certaine dilection pour le confinement. Ma femme, comme dirait Columbo, me regarde souvent comme un zombie. Avant la guerre sanitaire que nous vivons, étant journaliste-pigiste et animateur de débat (quelle expression naze, ç’a un petit côté Guy Lux, mais c’est bien de cela dont il s’agit, je donne une âme aux débats, pour exhausser la fonction en dénichant de la noblesse dans la racine étymologique), l’idée même de rester à la maison faisait partie de mes petites glorioles professionnelles.
J’ai tellement, que dis-je, hyper-tellement, perdu du temps dans un collectif professionnel : réunions injustifiées, passage obligé autour de la machine à café pour papoter (dans le cas contraire, vous passez pour un ostrogoth, un ours mal léché, etc.), rappel des règles à respecter dans le fameux Open Space (quel est le criminel qui a inventé cette horreur !), avec le N+1 que l’on ne peut contrarier qui vient faire son N+1 dans votre environnement parce que, forcément, lui, hein, bien sûr, il peut s’affranchir des règles élémentaires de la courtoisie, c’est un N+1, hein, eh oui, quand il cause, le monde s’arrête… Sans oublier le rigolo ou rigolote de service qui a toujours une anecdote à raconter sur son chien, l’issue fatale du match de foot de la veille, son rendez-vous épique de l’avant-veille…
Je sais que tout ça vous parle… Une journée de travail en collectif, combien de temps perdus à brasser du futile, même si les futilités ont du bon, mais ne devons-nous sauvegarder le privilège d’y recourir quand nous le décidons ?
Travailler seul est un bonheur qui s’étire dans un mouvement aussi délicieusement éprouvé que celui que la chatte Mila, en face de moi, effectue quand le soleil marseillais vient darder son pelage luisant. Il y faut certes de la discipline, mais pas de celle qui s’apparente à une monstration capillotractée pour sauver son arpent fragile de justification dans le collectif. Qu’attendent de moi les personnes qui me sollicitent ? Que les articles soient à peu près bien charpentés et que les débats que j’anime laissent dans l’esprit de l’auditoire le souvenir d’un moment à la fois sympa et conséquent. Basta. Le reste, c’est de l’enfumage.
Bien sûr, dans la journée, j’ai des gens au téléphone, il m’arrive même de me déplacer sur un temps long pour aller à la rencontre de l’autre. Mais je sais, en arrière-fond psychologique, que ce temps est à dissocier. Je sais que je reviendrai assez vite devant cet écran pour un travail plus conséquent, toutes proportions gardées (on est loin du Pulitzer !). Pour le travailleur indépendant, le déplacement professionnel, c’est un peu les vacances. On y croise des villes merveilleuses, des gens heureux, des cafés typiques, des restaurants authentiques. J’adore partir dans les frontières périurbaines que l’on moque, les villages où le maire est toujours un personnage à part, dans ces salles des fêtes où les micros ne marchent pas toujours, grésillent, où les gens ont une simplicité conséquente. Ça change souvent des roitelets de province, dès que l’on dépasse les 200 000 habitants, le risque est là, de se fader la cour qui accompagne le roitelet, rien n’est pire que les gens de cour. Bref, partir, c’est revenir avec le sourire.
En écrivant d’ailleurs ces petites considérations de confinement, je me dis qu’il serait bon d’aller au-delà, dès que le monde aura truandé la bestiole infâme, de prendre le temps de recueillir les témoignages des gens que je croise, de Lille à Gerzat, de Marseille à Andrézieux, de Paris à Limoges.
Ce site, qui roupillait comme la devanture d’un magasin de bricolage poussiéreux, vient ainsi de vivre trois publications de post (je crois que c’est comme ça qu’on le dit) en trois jours. Ça me rappelle le début des blogs, où chacun des écrivaillons du coin, dans une tentative désespérée et warholienne d’existence, faisait étalage de ses petites saillies métaphysico-poétiques, en tentant de se frayer une once de visibilité pré-youtubeuse dans le maquis des talents celés ou des audaces masquées.
Ecrire restera toujours un miroir. Il ne faut pas avoir peur de se regarder. Avec distance, humour mais aussi un brin de respect pour soi. C’est ce que j’aime bien, dans le confinement. C’est le ramenage à soi, comme l’aurait dit l’extraordinaire Edouard Baer des premières saynètes sur Canal Plus.
A part ça, je suis allé faire les courses. Rues désertes. Caissières et caissiers protégés derrière des cartons et des masques de fortune. Je vous raconte ce spectacle lunaire demain… si vous le voulez bien.