Cher Président,
Vous fîtes cette déclaration le 20 mars dernier. Une éternité.
Elle dit à peu près ça (on s’en fout de la version officielle à la virgule près, on est dans l’urgence absolue, n’est-ce pas) : « J’adresse mes félicitations à celles et ceux qui avaient prévu tous les éléments de la crise une fois qu’elle a eu lieu ».
Elle m’a fait beaucoup rire, dois-je dire, et je vous en remercie.
En période de guerre, le rire est un puissant antidote. D’ailleurs, j’ai décidé de couper un peu les ponts avec les fils d’actu qui me rendent malade alors que ce n’est pas le bon moment pour le devenir et je me suis branché sur Rires et Chansons.
J’adore les Chevaliers du Fiel. C’est con et simple.
J’aime rire, ça met des étoiles dans le ciel, formule nietzschéenne, mais on s’en fout. Puis ça fait du bien aux abdos.
Je vous le conseille, c’est parfois lourdingue, mais de salubrité publique, à l’évidence.
A prescrire parfois, médicalement.
Rires et chansons, si tu m’entends, formidable…
L’angloisse, ou l’angoisse, c’est pareil
J’avais une tante, paix à son âme comme on dit, qui se plaignait souvent d’avoir l’angloisse, non, non, ce n’est pas une coquille, le « l » entre le « g » et le « o » se glissait bel et bien dans sa prononciation.
Au début, avec ma sœur et mon frère, on lui disait : « Non, tata, c’est pas l’angloisse, c’est l’angoisse ». Elle répondait, avec ce fichtre bon sens qu’affichent ceux qui sont à nu, « je m’en fiche, c’est pareil ».
Peut-on se doucher pendant qu’on fait les courses ?
Oui, voilà, je me détache un peu des fils d’actu.
Des questions à la con. En direct. On dirait une cérémonie des Césars. Que c’est chiant, ces cérémonies.
Genre : « Je dois sortir de chez moi mais est-ce qu’avant de sortir, je dois me doucher ou après ? Pendant ? Est-ce que l’on peut se doucher pendant que l’on fait ses courses ? ».
Ou encore : « Quand je me lave les mains, faut-il que je me les lave avec ou sans les mains puisque les mains sont potentiellement infestées ? Puis-je me les laver avec les mains de ma femme qui elle-même se les serait laver au préalable ? »
Voire même : « Mon chat paraît las. Est-il covidé ? »
Ou encore : « J’entends mon voisin qui tousse. Dois-je alerter l’opération Résilience ? Dans le cadre des mesures d’exception prises par le gouvernement, est-il autorisé de l’abattre directement pour éviter qu’il ne contamine tout l’immeuble ? Et que faire du corps, une fois abattu ? Existe-t-il une plateforme qui récupère les déchets humains ? ».
Une petite dernière. Mais je n’ose pas. Y’a que l’ami Desproges qui aurait pu le faire, avec un talent bien entendu autrement plus élevé que le mien. Vous savez, le Desproges qui imite son oncle qui a un cancer de la gorge. Je n’ose pas. J’ai peur que la police morale débarque chez moi. On est en guerre. On ne rigole plus.
Pour se détendre, avec ma femme, on a regardé la série Chernobyl
D’autres questions sont censées être plus intelligentes, mais bon, leur récurrence montre que les gens n’ont pas compris : il n’y a pas de réponses à la question que vous avez posée… Vous savez, comme les bandes sonores de France Télécom des films de Claude Sautet : le numéro que vous demandez n’est pas attribué, veuillez vérifier que votre doigt n’est pas crochu ou que vous étiez à l’apéro lorsque vous avez noté le numéro de téléphone qui n’existe pas. Ah, j’ai envie de rire, merde, désolé, je sais, le décompte des morts s’affole, c’est terrible, j’ai envie d’appuyer sur le bouton AZ-5 de la centrale de Tchernobyl, pour arrêter le désastre.
Oui, avec ma femme, pour se changer les idées, on s’est fait la série Chernobyl, puisqu’OCS très gentiment nous ouvre l’accès à leur chaîne, merci à eux. C’est distrayant. Egayant.
Donc, coupure momentanée des fils d’actu, très bien fait d’ailleurs. Mais j’en ai marre de savoir que l’Italie en compte moins que la veille, que l’Espagne remonte à la deuxième place, j’en ai marre de cette comptabilité macabre. Chaque fois que je vois Salomon, le directeur général de la santé, approchait du pupitre, je me sers un pastis. Je m’envoie du Desproges à mort dans les oreilles. J’entame une danse des canards. Même Socrate me fait chier, avec ses morales à la con.
Toutes mes excuses, je m’emporte.
J’ai à peine goûté au canard confit de la veille. C’est dire.
Et ils sont où, et ils sont où, et ils sont où, les pangolins !
Je n’y suis pour rien, moi, sur cette crise. Je ne savais même pas que ça existait, un pangolin. J’ai envie de boire un coup. De fumer des roulés au soleil. D’hurler contre l’arbitre. De voir un match de foot. De courir dans un parc à bouffer du CO². De me prendre pour un écrivain. Un philosophe. Un surfeur. Un dérisoire être humain. Avec forte propension histrionique. J’ai envie d’Italie, de pizzas, de grossir, de maigrir, de me dire qu’il faudrait faire attention (le matin) et de me dire que ce n’est pas si grave (le soir). De vivre comme je suis, avec mes faiblesses enrobées d’humour et de distanciations culturelles.
Et oui, cher Président. Excusez-moi, j’ai digressé. Je digresse beaucoup.
Vos adversaires font tourner la meule
L’autre monde se dessine mais l’ancien perdure. On se prépositionne dans les startingblocks. Les Mélenchon, Le Pen, Faure et consorts préparent la tactique de déconfinement politique sur tableau noir. Pour l’heure, l’union nationale les confine. Silence, discrétion, respect. Des gens meurent. Ambiance « Allons z’enfants ». Mais on commence à entendre le bruit que font les couteaux que l’on affûte, la meule turbine. Dès que vous mettrez le nez en dehors de l’Elysée, paf, les poignards jailliront. Vous allez en prendre plein la gueule.
Dans un entretien accordé au Point, Jean-François Kahn, qui a pris du recul, par fatigue dans doute de la démagogie présentielle, offre une belle solution. « Être confiné chez soi et montrer du doigt les responsables, je trouve cela totalement indécent. Dans les cas de catastrophe nationale, je pense qu’il devrait être interdit de faire des articles pour montrer à quel point on est intelligent ». Ne rien dire alors que le choc force à parler. L’ambiance « blog des années 2000 » est de retour. J’en suis la preuve vivante. Mon Dieu, que la tentation morale ou accusatrice se détourne de moi, j’espère ne pas avoir cédé à cette triste mode, bien vu JFK, qui consiste à jouer les con-fins révolutionnaires.
Cher Président, je n’ai jamais imaginé une seule seconde qu’un président était plus fort que Dieu dont l’existence d’ailleurs reste à prouver. Je sais que vous faites ce que vous pouvez. Et que le soir, quand vous arrivez au pupitre désinfecté, vous avez des millions de Français en face qui vous haïssent, qui vous aiment, qui s’en foutent, qui ne vous connaissent même pas, qui n’ont pas la télé, qui sont malades, vieux ou jeunes cons, et vice-versa. Et à tous ces gens-là, vous devez leur dire quelque chose. Un discours qui tienne la route, qui fasse unité, que Mélenchon et Le Pen moqueront. Mais vous devez tenir ce cap.
Les pizzas, c’est pour moi, j’insiste…
Un jour, vous viendrez voir un match de l’OM à la maison. Je sais que vous êtes fan. Venez avec Brigitte, ma femme n’aime pas le foot. On boira un coup, je commanderai des pizzas, non, non, c’est pour moi, ça me fait plaisir. On pestera contre l’arbitre. On parlera de la VAR et de ses inconséquences. Et puis, un peu pompette, on ira se coucher (on a une chambre d’ami, si vous voulez rester, par contre ce sera plus compliqué pour les membres du service de sécurité, mais on se débrouillera).
J’attends votre appel. Parce que quand vous appellerez, ça voudra dire que le connard-ovirus aura rejoint son putain de pangolin dans le souvenir.