Petit rappel sur la justification de ces « Etats de confinement »
Confiné, avec mes voisins du dessus (putain, pourquoi je n’ai pas acheté un dernier étage, quel con), ma femme qui n’est vraiment pas faite pour un quelconque confinement, empêché de me déplacer, bref enfermé dans un écosystème imposé et sans plan B -toute ma vie, je m’en suis sorti avec des plans B, la fameuse stratégie d’éviction spinoziste qui consiste à ne pas chercher à affronter le monde dans ce qu’il a de plus abrasif, mais à le contourner avec habileté et sans lâcheté, puisqu’il y a de la place pour ceux qui savent trouver le bon « endroit pour vivre » (William Sheller).
Donc, ainsi confiné…
… je transforme momentanément ce site en un lieu de recension d’états d’âme à la pertinence plus ou moins discutable. On s’en fout, l’essentiel, c’est ce que tu publies, me dit le gars qui a fait ce site dans une visée techniciste, afin que je sois vu de ceux qui souhaiteraient le cas échéant me solliciter pour mes talents supposés d’animateur de débat. Seule la technique fait sens (en étant vu dès la première page de Google, j’ai plus de chance d’être sollicité que si je ne le suis qu’à la deuxième page, etc. Il ne faut pas en vouloir aux gens qui « cherchent » des animateurs de débats, ils se disent que les premiers sont peut-être les plus sollicités, et donc les plus talentueux, la première page de Google, c’est la récompense absolue dans ce monde bestial de la visibilité numérique, où le quantitatif prime sur le qualitatif, où le meilleur est celui dont le muscle de l’index est le plus endurant -pour cliquer-, etc.).
Pourquoi est-elle si anti-macroniste ?
J’ai eu une collègue de travail au téléphone. Les gens ont besoin de parler en ce moment, dit-on. Bon, donc je fais l’effort, j’écoute. Je suis surpris qu’elle aborde un sujet très peu dans l’air du temps, le coronavirus. Elle est anti-macroniste, très à gauche. Elle n’aime pas le gars, c’est presqu’irrationnel. Donc, je la laisse débiter son anti-macronisme primaire, un brin pubère, mais bon, je sens que ça lui fait du bien et j’aime bien cette fille, elle a beaucoup de qualités. Je tiens quinze minutes au téléphone. Pas mal. J’ai l’impression d’avoir fait ma BA. Il faudrait que j’en appelle une autre, plus bavarde encore. Je le ferai à l’apéro demain soir. Il faut se mettre en condition pour écouter des gens qui ont besoin de parler tout le temps de ce que l’on entend tout le temps à la radio.
Eurovision, cette formidable réussite du ridicule maximisé
J’ai beaucoup de respect, ce n’est absolument pas ironique, vraiment, croyez-moi, pour les gens qui se considèrent. De qui parle-t-on ? Le premier exemple qui me vient en tête, c’est celui du chanteur de l’Eurovision. Des chansons nazes, mielleuses, tout le monde le sait, mais ce rendez-vous kitch réunit, de manière assez incompréhensive, des centaines de milliers de spectateurs chaque année (oui, on y a droit tous les ans). Ce qui signifie que mon point de vue est faux, si le nombre fait talent, que les dites chansons méritent d’être louées au même titre que d’autres, supposément plus corticalisées. Chanter une telle chose serait inenvisageable me concernant, au-delà du fait de savoir si je sais chanter ou pas. Mais, admettons que je sois doué d’un organe à peu près respectable, aller chanter « ça » me confronterait à une humiliation personnelle sidérante. Pis encore, le chanter, pourquoi pas si un petit chèque vient récompenser cette exposition au ridicule (la transaction fiduciaire est pacificatrice) mais le défendre, défendre cette absoluité niaise que je chanterais pour me mettre à l’abri financièrement (on en est tous là, le nombre de conneries que l’on peut faire pour s’offrir des vacances au soleil, putain), m’entraînerait dans un truc dépressif. Pourquoi ce préambule, pourquoi en vouloir autant à l’Eurovision, ou à la pêche à la mouche, alors que le plus simple est de ne pas regarder le dit évènement ou de ne pas pratiquer la pêche à la mouche…
J’y arrive…Eh, oh, on n’est pas pressé…
J’adore la phrase du Premier ministre: « Le découragement ne fait pas partie de la gamme d’émotion que je m’autorise ». J’aime le cran affiché. Routiers en colère, femmes de ménage, instits, médecins scolaires, producteurs de miel des Alpes, d’Ardèche, du Poitou, intermittents du spectacle, pilotes d’Air France, France Inter… Jingle : « Le découragement ne fait pas partie de la gamme d’émotion que je m’autorise ». Cardiologues en colère, infectiologues, producteurs de masques, producteurs tout court, vendeurs de glaces, de pizzas, enculeurs de mouches, vendeurs d’escargots, de shit… Refrain remixé : « Le découragement ne fait pas partie de la gamme d’émotion que je m’autorise ». Encore une petite listes de gens-pas-contents-carrément-méchants-jamais-contents ? La vie d’un chef d’Etat et d’un Premier ministre, c’est ça, c’est être critiqué en permanence. De ma vie, je n’ai jamais entendu, en dehors des supporters du premier rang, aveuglés par une vénération qui barre l’accès à un jugement rationnel, quelqu’un dire : « J’aime ce Président ». Si le Premier ministre n’est jamais découragé face à ce flot continu de « colères » plus ou moins justifiées, un rôle dans Homeland lui est destiné après sa carrière politique pour aller traquer le taliban…
L’autodénigré s’aime…
Une autre phrase aussi virilement clavée m’avait pareillement enchantée il y a quelques années. Je ne sais plus qui l’avait prononcé, je pense que ça pourrait être Depardieu. Gérard, si tu m’entends. Elle disait à peu près la chose suivante : « Avoir du talent, c’est croire un peu plus en soi que les autres en eux ». Bien non ? Le talent serait le fruit d’une démarche un peu bancale de croyance en soi, l’autodérision n’aurait plus la côte. Un pote m’a dit récemment : « L’autodénigrement est une autre manière de se valoriser ». Très juste. Et je reboucle la boucle avec l’Eurovision. Vous voyez comment ? Il faut s’aimer pour être aimé. Edouard Philippe joue la transparence. Il s’aime. Ne doute pas. Le découragement est une faiblesse. Il faut aller au bout de l’absurde. Il faut aller au bout de l’Eurovision. Il faut croire à l’intelligence collective du kitch.
Croire en soi suffit-il à faire croire en soi ? On en reparle demain…
Ce qui provoque une explosion de questions qui me pousse presque aux portes d’un service de réanimation en temps de guerre… Suffit-il de croire en soi pour trouver à force d’entêtement « son » public ? Suffit-il de ne pas céder au « découragement », comme Edouard Philippe, pour finir à être enfin repéré pour ce que l’on est ? Ne pas s’aimer radicalement et choisir d’en parler, est-ce espérer une quelconque reconnaissance… pour quelque chose que l’on ne défend pas ? La performance de l’Eurovision, est-ce d’arriver à tellement maximiser le ridicule qu’on finit par l’aimer ?