Oh, je l’aime cette phrase scandée dans Le Point par l’immarcescible Jean-François Kahn, dont je reconnais là tout de suite l’impétuosité bravache, lui qui a souvent montré qu’il l’était, justement, intelligent. Vous savez pourquoi ? Parce qu’elle est complètement désajustée… Elle donne le vertige… Parce que c’est le contraire qui se passe, on a envie de parler dans les grandes catastrophes, d’écrire, de se sentir intelligent même si on ne l’est pas -on ne va pas débattre ici de ce vaste sujet-, on n’est pas tous capables d’écrire les feuillets d’Hypnos de René Char couchés sur la feuille mouillée et boueuse de la peur de la guerre entre 1943 et 1944, c’est sûr, mais bon… Parce que la sidération oblige à parler, à dire, même pas pour montrer qu’on est intelligent (vive le doute !) mais juste pour échanger, d’un balcon à l’autre, d’une tribune à une info non vérifiée.
Parlez-moi de moi, y’a que ça qui m’intéresse…
Je prends mon cas, que je connais le mieux. Je suis moyennement confiné (présence incongrue des voisins au-dessus, impossibilité d’en sortir, d’aller à la campagne, sortir sa poubelle devient un moment divin, etc.). Dans le cas contraire, confiné par exemple dans une thébaïde, je serais heureux comme un pape (Diouf) mais ce n’est pas grave, je n’aurais pas l’audace de comparer mon malheur à ceux des Sdf et autres migrants, etc. Passons. Donc ce moment de catastrophe national me percute, me pousse à dire, à parler, à écrire. Et qu’importe que je le fasse mal ou bien. On cause, on a besoin de ça. J’ai pourtant relu Lao-Tseu. Le non-agir comme action. Resté là, attendre… Difficile…
Bienvenue en catatonie
C’est marrant parce que le souvenir que j’ai de Jean-François Kahn, c’est celui d’un brillant bavard, d’un talentueux bateleur, à la formule ciselée, capable de faire rendre gorge aux rhéteurs les plus habiles, reposant ses propos sur de solides étais culturels. Là, il prône le silence. Non pas pour ne rien dire, mais parce qu’il n’y a rien à dire, tout simplement. L’intelligence est donc mise au chômage. Seul le virus sait. Mais il garde jalousement ses secrets. Nous attendons. Un signe d’Edouard Philippe, de Jérôme Salomon, d’un épidémiologiste à la renommée établie. La fin de l’égrènement. De nos lieux confinés, nous subissons ce qui peut l’être. Comme nous subissions avant le confinement les transports erratiques, les Gilets jeunes, les grèves, les rapports professionnels, l’obligation d’aller voir un tel que l’on aime moyennement… Nous sommes dans une souricière… Et nous le savons, au contraire de la souris…
La lumière crue du confinement tombe sur ce que nous sommes, des hommes libres empêchés
Le confinement, c’est ça… La lumière crue sur nous… Sur ce que nous sommes, nos fragilités, nos qui-vive, notre dynamique heuristique, notre métaphysique quotidienne… Le confinement nous met à nu, sur ce qui ne va pas en nous et que l’on croyait pouvoir régler parce qu’en capacité d’agir, d’inverser la tendance. Chaque jour, le soleil redonne de l’espoir. Là, il ne se lève pour rien. Il se lève pour les masqués et les traqueurs du virus. Il se lève pour que nous puissions aller acheter notre bout de jambon et le mastiquer sans appétit devant France Info. Le coronavirus nous rappelle qu’aller boire un verre sur une terrasse, à Paris, à Marseille, à Bordeaux, dans les Côtes d’Armor, à Strasbourg, avec des gens qu’on aime, pour écouter de la musique, rire et chanter, pleurer, lancer un projet, marcher, slalomer entre les gens aux heures de pointe, réserver ses vacances, aller voir l’assistante sociale, etc., est un privilège. Le virus nous empêche de regarder les belles filles, les beaux mecs, les montagnes et la mer. C’est notre mouvement naturel qui est bloqué. Parce que le fauve est en ville, qu’il est invisible et qu’il est sans pitié. Nous ne sommes pas impuissants, nous sommes réduits à constater que nous ne savons pas ce qui se passe.