J’ai eu le plaisir d’interroger Roland Gori pour Horizons Publics. En voici les premières lignes :
Roland Gori : « L’hyperconnexion des humains révèle leur terrible isolement social »
Comment reprendre la main sur un numérique supposément libératoire mais qui dévitalise notre démocratie ? Comment refaire société en sortant de la logique Disney dans laquelle la presse s’enferre ? Le psychanalyse Roland Gori, dans son dernier opus, « La fabrique de nos servitudes », offre des pistes pour se réapproprier ce que nous sommes : des êtres portés à la création et non à la soumission algorithmique recherchée par les neurosciences.
Vous insistez beaucoup sur la qualité perdue de l’information, plus massifiée, et qui aurait donc sur l’opinion publique un effet contraire à celui que l’on pourrait espérer, à savoir créer du débat…
Dans la continuité des travaux de Gilles Deleuze sur les sociétés de contrôle, on peut en effet considérer que les informations sont plus injonctives que productrices de débats. Elles constituent des mots d’ordre en disant aux individus ce qu’ils sont censés croire pour se soumettre « librement » aux pouvoirs politiques et financiers. Les informations permettent de suivre les individus à la trace, les contrôler et les normaliser. Dans nos sociétés post-disciplinaires, elles placent les individus sur des autoroutes de servitude. A la fin du XVIIIe siècle, l’opinion publique était portée par la République des lettres, même si elle n’avait pas, tant s’en faut, le même accès à l’information qu’aujourd’hui. Ce qui caractérise l’information d’aujourd’hui, c’est qu’elle n’a de valeur qu’au moment où elle émerge. Ce flux crée une forme étonnante d’infobésité qui permet la consommation de données obsolescentes sans laisser aux citoyens le temps de les digérer. Walter Benjamin disait que nous étions riches d’infos nouvelles mais pauvres d’histoires vécues et racontées. Il faut donc distinguer l’information de la parole, qui est la condition de l’invention de la démocratie. Le vrai à chercher, le bien pour une société ou une nation ne se trouve plus inscrit dans les textes sacrés de la religion ou de la tradition ou ne procède plus de l’autorité des maîtres ou des anciens mais procède d’un débat contradictoire qui suppose du temps et des conditions propres à la parole démocratique.
(Photo Roland Gori, Wikimedia Commons).